Opéra

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Installation sonore
1 bande son, durée 3'46", diffusée sur deux enceintes
1 bande son, durée 11'42", diffusée sur casques
Fauteuils de théâtre

Commande du studio Césaré, Reims,
pour l'exposition Jeunisme, FRAC Champagne-Ardennes,
avril-juillet 2003





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Projet sonore: « Opéra »

Installation sonore
   

    Utiliser le lieu Opéra comme un réservoir de sons.
Jouer sur la cohabitation des différents univers qui forment le lieu Opéra, et qui ne communiquent pas forcément entre eux, ou bien par des biais complexes :

-    le plateau
-    la fosse
-    la salle
-    les ateliers et les loges
   
    Chaque univers possède sa palette de sons spécifique, allant de la conversation à la musique instrumentale et vocale, en passant par les bruits de machinerie etc.
Les sons peuvent être envisagés comme des ambiances sonores (plan éloigné) ou de manière isolée (plan rapproché).
La notion de point d’écoute est importante, car c’est elle qui détermine la perception des sons.
   
    Le spectacle « opéra » est agencé en fonction de la position du public, situé dans le lieu « salle ». C’est cette position qui détermine les sons et les images qui sont perçues par le spectateur.
En plaçant le point d’écoute, donc le micro, dans un lieu différent, on obtient une image sonore différente.
   
    Il ne s’agit pas de tomber dans quelque chose qui serait de l’ordre du reportage, mais de jouer avec les sons spécifiques d’un lieu dans ce qui serait à la fois une évocation et une exploration.
   
    De la même façon que j’ai pu m’intéresser à l’erreur dans la musique, la hiérarchie entre ce qui doit ou ne doit pas être entendu par le public dans un lieu comme l’Opéra me pose question, ainsi que la perception d’un même instant sonore selon la position de l’auditeur.



Texte du catalogue Jeunisme :

L'Opéra : ces petits sons, ces presque riens, qui nous restent après…


L'expérience sensible est une sorte de métabolisation des restes, de ce qui reste des millions d'informations visuelles sonores, tactiles, qu'à chaque seconde notre cerveau reçoit et dont seuls quelques milliers affleurent à notre conscience et nourrissent notre imaginaire. Les artistes ont eu l'intuition de cette douloureuse déperdition bien avant que les neuro-cogniticiens ne modélisent les réseaux neuronaux et l'architecture de la perception.

Le trajet biologique des signaux est la face anatomique de la pensée, de la conscience de ces petits riens, de ces détails sans importance, de ces notes biographiques qui de sons en couleurs, de matières en odeurs, emplissent notre temps quotidien, nos lieux habituels, et transforment le souvenir des choses en manière de voir et d'inventer. Cette quotidienneté est l'œuvre de l'art depuis bientôt trente ans et, ainsi transcendée, devient une attitude devant la vie, devant l'art, une culture partagée rendant comparables les expériences de l'artiste et du citoyen. C'est la voie de l'accès sensible aux œuvres.

Pour Claire Boissel les toux, les interpellations, les conversations, les mesures répétées, les instruments qui se cherchent, les portes qui claquent, le bruit des temps morts, tous les sons et les résonances de L'Opéra, que signe l'acoustique comme l'architecture, constituent la collection de ces petits riens, de ces sons délaissés pour elle aussi touchants que l'œuvre. Répétée coup après coup, sous la baguette du chef, l'œuvre cherche et trouve sa forme orchestrale en éliminant les petits sons. L'un de ces moments est le reste de l'autre, un moment familier contre un moment orchestral. Au fil du temps, dans le même lieu, les œuvres répétées changent mais ne font jamais que traverser les moments familiers.

C'est cela le début du travail de composition musicale de Claire Boissel : enregistrer tous ces moments familiers aux ponctualités inégales, saisis dans l'unité du lieu de la répétition et la discontinuité répétitive du temps. La tuttiste qu'elle est, violoniste de métier, écoute, avec la précision de l'écriture musicale, ces bruits entours qui deviennent, ainsi écoutés, des sons propres à une composition personnelle qui acquiert le statut esthétique de la musique dont ils n'étaient que les restes circonstantiels et les éclats parasites.

L'opéra, le monument, devient l'espace particulier où l'artiste peut rendre miscibles pratique musicale et pratique plastique. La conviction, dit-elle que "ce qui se passe sur scène n'est plus ni moins important que ce qui se passe dans la salle, sur le plateau, dans la fosse, dans les ateliers et les loges", nous invite à déplacer tous les préjugés culturels de l'écoute passive, celle qui ne reconnaît que ce qui est musical, vers l'idée que tous les sons, musiques et bruits, qui s'engendrent dans l'espace de l'opéra doivent bénéficier du même "droit à l'écoute" de notre part.

Ce projet pour Jeunismes, comme ses œuvres précédentes, affiche un mode compositionnel dont les notions clés empruntent alternativement à la musique et aux arts plastiques.  La réalité, ses espaces, ses échelles, ses monuments, ses événements sonores, le point de vue d'où ils sont enregistrés, les images sonores obtenues comme l'intelligibilité spatiale espérée pour le spectateur dans l'espace de l'exposition, manifestent de l'attachement de l'artiste à une vision musicale et plastique du réel comme biographisme de la perception. Ainsi s'éclaire la constance de son travail sur et dans le milieu musical, l'attrait pour la musique de l'autre, le choix d'une rhétorique du fragment et du déchet sonore, l'interprétation numérique des temps propres de chaque événement sonore enregistré. Enfin, la mise en espace de l'œuvre tient compte de l'aléa dans l'écoute pour restituer le hasard des circonstances de l'enregistrement et des simultanéités sonores de la réalité.

Avec Opéra, Claire Boissel nous invite à une méditation sur l'erreur en musique, sur ce qui doit ou ne doit pas être entendu par le public dans l'enceinte de l'opéra, sur les troublantes différences de perception d'un événement sonore par les auditeurs selon leur place et, plus largement, sur ce que nous entendons de notre quotidien.

Une philosophie du réel, des outils numériques, une culture musicale et plastique, l'espace social aujourd'hui, le geste instrumental, le hasard et ses formes sonores, au-delà de cette première œuvre, tous les traits d'une écriture personnelle sont réunis : le son en est le principe symbolisant ces presque riens qui nous restent après…

 Jean-Pierre Nouhaud


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